13/04/2015
Benjamin Whitmer : Cry father
Benjamin Whitmer est né en 1972 et a grandi dans le sud de l'Ohio et au nord de l'État de New York. Il a publié des articles et des récits dans divers magazines et anthologies avant que ne soit publié en 2012 son premier roman, Pike. Il vit aujourd’hui avec sa femme et ses deux enfants dans le Colorado, où il passe la plus grande partie de son temps libre en quête d'histoires locales, à hanter les librairies, les bureaux de tabac et les stands de tir des mauvais quartiers de Denver. Son second opus, Cry father, vient tout juste de paraître.
Patterson Wells est élagueur, il sillonne l’Amérique à bord de son camion pour en déblayer les décombres. Entre deux missions, il se réfugie loin du monde dans sa cabane perdue près de Denver. Là, il boit et tente d’oublier l’inoubliable, la mort de son jeune fils suite à une erreur médicale. Sa rencontre avec Junior, le fils de son seul ami, un petit frimeur bossant pour un trafiquant de drogue, va l’entrainer inexorablement dans un enchainement de violences et de mort.
Le premier roman de Benjamin Whitmer m’avait impressionné et j’avais hâte de lire le suivant, espérant qu’il confirme tout le bien que j’en avais dit alors. Espoir comblé aujourd’hui. L’écrivain nous guide à travers l’Amérique profonde, de Denver à El Paso, qu’on parcourt en de longues heures de route déserte, trajet ponctué de bières dans des bars miteux, de lignes de coke à même le comptoir, un flingue dans la ceinture du pantalon. Il y a des bagarres, des filles à la peau mate, des morts brutales aussi, occasionnellement un couple de pédophiles. Ce genre qu’on connait bien finalement, à travers films et bouquins. Sauf qu’ici, ce n’est que le décor. Le décor d’une certaine Amérique, celle où des prêcheurs fous baragouinent dans les radios, celle où les théories de complots (11-septembre, Aliens etc.) font les conversations, celle où le port d’arme est une évidence, « il se sentait foutrement plus à l’aise armé », et le culte de la liberté individuelle poussé à ses extrémités, « Dehors, dans la rue, vous êtes constamment sur les écrans radar de quelqu’un. Et vous commettez sans cesse des infractions. (…) Parce qu’il y a tellement de lois que c’en est même impossible de les compter. »
Dans cet environnement, des hommes et des femmes tentent de survivre en tenant à distance leurs propres démons et s’interrogent : « Peut-être que la véritable question n’est pas comment s’y prendre pour que le monde t’oublie, mais comment s’y prendre pour qu’il te reconnaisse. » Patterson ne peut oublier Justin, son fils décédé, et lui écrit dans un calepin des lettres qu’il ne lira jamais, son ex-femme Laney cherche à aller de l’avant, elle a eu un nouveau gamin avec un autre, parti, et va tenter une action en justice contre le médecin responsable de la mort de Justin. Il y a Henry, le vieux pote éclopé de Patterson, en conflit avec son fils Junior. Et ce Junior, éborgné dont l’œil suinte en permanence, toujours dans des coups foireux, haïssant son père et tentant de renouer avec son ex qui vit avec leur petite fille.
C’est là que Benjamin Whitmer est excellent. Aucun de ces personnages n’est très fréquentable mais on a du mal à les condamner pour autant, leur solitude les punissant bien assez. Certaines scènes sont réellement poignantes et l’effet de miroir inversé, Patterson qui se meurt à petit feu au souvenir de son enfant décédé tandis que Junior est prêt à descendre son père Henry, est très fort. L’ambiance générale du roman est envoûtante, c’est son point fort. Whitmer sait installer des climats, des sensations. Et je peux reprendre les mêmes propos tenus lors de son premier livre, des chapitres particulièrement courts et des scènes très dures de violence physique, mais très courtes elles aussi, comme des claques sèches avant qu’on ne passe à autre chose.
« Junior n’a pas envie de quitter la I-25 à Walsenburg. Il sniffe sa cocaïne directement dans le flacon, maintenant. En buvant du café de station-service noyé de bourbon. Tout est bon pour rester éveillé. Il sait qu’il ne devrait pas rallonger son trajet. Surtout pas pour faire route sur la San Luis Valley. Mais quand tu restes suffisamment longtemps sans dormir et que tu carbures à la cocaïne et aux vapeurs d’essence, tes mains font plus ou moins ce qu’elles veulent. »
Benjamin Whitmer Cry father Gallmeister – 315 pages –
Traduit de l’américain par Jacques Mailhos
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